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Après ses premiers balbutiements dans les années 60, "la technologie" est une discipline scolaire qui a beaucoup évolué depuis son introduction dans l’enseignement de collège, notamment depuis l’inscription du numérique dans les programmes. Cependant, aussi pratique soit-il, l’ordinateur n’est pas le seul outil qui puisse amener les adolescents de 2016 à montrer un intérêt pour les contenus enseignés. Tablettes et smartphones sont entrés dans les classes comme outils d’apprentissage. Au collège de Martonne, à Laval, Patrick Richard adapte ainsi les programmes de technologie aux objets des adolescents. Partir de ce qui passionne les jeunes pour les mobiliser dans le cadre de projets numériques ambitieux, c’est le pari annuel de ce professeur de technologie, sans pour autant être démagogue.
Investi depuis longtemps dans le projet de son établissement, à savoir le collège Emmanuel de Martonne, à Laval, Patrick Richard y enseigne la technologie. Il a participé à la structuration de l’espace "Technologie" de son collège et a ainsi pu aménager son laboratoire de technologie comme il l’imaginait. Enthousiaste, il parvient à entraîner ses élèves non pas dans son projet, mais dans ce qui devient progressivement leur projet.
Il a toujours pensé qu’il faut prendre appui sur ce qui intéresse les jeunes, notamment leurs modes de communication pour entretenir leurs relations sociales. Aujourd’hui, il construit son enseignement avec des objets de communication que maîtrisent les adolescents, même s’ils sont trente dans la classe. Le smartphone de l’enseignant, par ses multiples usages, est donc naturellement devenu un objet courant au service de sa pédagogie.
Mais comment engager durablement les adolescents dans une dynamique collective, en exploitant pédagogiquement, en technologie, ce qui les séduit ?
Parmi les projets qui composent les cours de Patrick Richard, il en est un que ses élèves se sont approprié : celui du "collège durable". Inscrit dans une réflexion sociétale d’économies d’énergie, ce projet de classe est initialement un prétexte pédagogique qui conduira les élèves vers une problématique complexe qu’il faudra résoudre collectivement.
"Il faut que les élèves inventent ce qu’on peut faire avec le numérique". Par cette affirmation, Patrick Richard reconnaît que la technologie ne se construit pas sur un modèle descendant dans lequel un enseignant déverse un savoir à l’adresse d’élèves idéalement attentifs. Les élèves sont des inventeurs actifs qui se sont donné pour mission de réaliser un projet, à l’instar d’un cabinet d’architecte. La commande magistrale est ainsi définie : "Vous devez construire un collège durable à partir de l’existant de votre collège". Or, parce que leur collège comprend plusieurs bâtiments et structures, incluant notamment une Segpa (Section d’Enseignement Général et Professionnel Adapté), une Ulis (Unité Localisée pour l’Inclusion Scolaire) et une Sem (Section d’Education Motrice), cette commande devient complexe puisqu’il faut, entre autres, prendre en compte l’accueil d’un public en situation de handicap. Répartis en équipes de six ou sept, les élèves vont devoir s’interroger sur les dimensions de chaque bâtiment, repenser la circulation des personnes dans l’établissement, définir la position des stationnements et espaces verts, choisir une orientation favorisant la luminosité, déterminer les matériaux qui isoleront efficacement, et répondront précisément à ce cahier des charges. Tandis que certains élèves de l’équipe construisent une maquette "carton", (voir ci-dessous) d’autres modélisent en 3D cette maquette dès que l’équipe s’est accordée sur un choix (voir ci-dessous). Ce passage du concret à la virtualité de leur projet offre in fine la possibilité de médiatiser, de mettre à la connaissance de toute la classe le résultat de leurs interrogations, recherches et choix.
Les élèves élaborent donc un collège virtuel à partir de leur propre collège, qu’il leur est demandé d’enrichir. « Plus le modèle est riche, plus la tâche est complexe », précise Patrick Richard, d’où le choix ambitieux d’un projet prenant pour objet d’étude le collège. La réflexion menée part du réel, puis s’opère une entrée dans la réalité virtuelle avec en perspective l’accès à une réalité augmentée.
Ainsi, le modèle réel devient progressivement le modèle numérique d’un lieu qui n’existe pas, ce qui induit "un travail sur la notion d’avatar", comme le souhaite l’enseignant. Les élèves créent une réalité virtuelle réelle, sur une table et aussi sur ordinateur, avec respect de l’emprise au sol. En groupe, ils font des essais, échangent entre eux, s’opposent, s’accordent. Parfois ils se heurtent à des interrogations (choix de matériaux d’isolation, par exemple) et, s’ils espèrent une réponse de leur enseignant, ils n’auront en retour qu’une réponse volontairement frustrante : "Je ne peux pas vous aider là-dessus". Pour l’enseignant, les réponses ne préexistent pas : ils doivent mener une étude pour les trouver, pour savoir par exemple si la laine de verre isole mieux que le chanvre, que la laine de roche, … Mais comment choisir quand, à l’exigence d’une isolation thermique, s’ajoute une exigence d’isolation phonique ?
La présentation finale devra également faire apparaître les différents espaces, ce qui suppose qu’il leur faudra prendre des photos afin de montrer l’ambiance qu’ils souhaitent donner à leur collège. Ce montage sera médiatisé et disponible sur internet. Toute cette réflexion collective leur permet de se construire, séance après séance, une définition du "développement durable" puisque leur enseignant refuse volontairement de leur fournir une définition toute faite. L’objectif est d’aider chacun à développer un regard économique et sociétal sur le développement durable en vivant en classe une réflexion d’écocitoyens.
Toutefois, même si les résultats proposés par les élèves sont en 3D (c’est une exigence sur le plan virtuel), la technique montre ses limites car il est actuellement encore impossible de visiter virtuellement leur collège ; ce qui devrait être prochainement envisageable. Circuler librement dans le collège, avec lunettes-cardboard (carton) ; c’est l’idéal auquel Patrick Richard est impatient d’accéder. Malgré tout, habituels consommateurs d’images virtuelles, les élèves en deviennent créateurs.
En séance de technologie, le travail collaboratif s’organise comme en entreprise autour d’un projet commun, avec des exigences imposées et des compétences partagées. Chaque élève devient alors un collaborateur au sein de l’équipe, apportant utilement ses compétences pour atteindre les objectifs définis.
Conformément aux attentes institutionnelles de 2016, Patrick Richard planifie ses cours de technologie en prévoyant un temps de travail collaboratif. Cet aménagement pédagogique permet de développer un esprit d’entreprise dès le collège, tout en aidant les élèves à ne pas se construire une représentation réductrice qui les amènerait à penser que l’entreprise n’aurait qu’un but lucratif. Responsable de projets, chaque groupe, ou plutôt chaque "équipe", s’organise en répartissant les rôles et tâches afin de parvenir le plus efficacement possible au résultat. Cette autonomie, encadrée directement ou à distance par l’enseignant, incite chacun à vivre par l’expérimentation la collaboration afin d’en mesurer concrètement les intérêts et saisir ainsi la nécessité d’apporter à son équipe ses compétences personnelles. Grâce aux inévitables mais nécessaires tensions, grâce aux désaccords, grâce aux difficultés pour mettre en place une organisation interne, chaque équipe parvient à faire évoluer le projet commun. Mais au préalable, il faut pour l’enseignant obtenir l’adhésion des élèves pour composer les équipes. Aux affinités électives des copains, l’enseignant préfère des critères qu’il impose sans brusquer : sinon la parité, du moins la mixité. "Je veux qu’ils acceptent de travailler avec des gens avec qui on n’a pas l’habitude de travailler". "Si je constate des groupes trop habituels, je m’autorise à les casser", ajoute Patrick Richard, tout en soulignant qu’il a alors le délicat rôle d’un Directeur des Ressources Humaines devant prendre en compte les desiderata de chacun pour composer des groupes efficients et "trouver une cohésion". Un rapide regard permet d’arriver au constat que tous les groupes sont mixtes.
Le pari de la mixité est réussi, y compris dans l’attribution des rôles : ainsi peut-on constater que la répartition des missions dans une équipe, pour une distribution équitable du travail, ne relève pas de stéréotypes préconstruits, mais de compétences personnelles. On verra donc indifféremment filles ou garçons s’interroger sur le choix de matériaux d’isolation (ouate de cellulose, laine de verre ou de roche, polystyrène, ...) ou encore sur le choix réfléchi de sources d’énergie durables (éolien, panneaux photovoltaïques, …).
Dans chaque groupe, des rôles sont donc assignés. Il revient aux élèves de se répartir le travail à effectuer, en désignant deux responsables du pilotage, deux responsables de l’information et deux responsables de l’opération. On touche là le triple système de base de l’entreprise : le système de pilotage, le système d’information et le système d’opération. Le système de pilotage détermine les objectifs et prend les décisions. Le système d’information gère la communication (interne, donc au sein de l’équipe ; et externe, donc vers la classe). Le système d’opération, aussi dénommé système de production, gère les opérations de transformation. Formés à ce triptyque, les élèves s’emparent de chacun de ces postes, en binômes, d’où la nécessité d’équipes, si possible, d’au moins six acteurs.
Chaque équipe s’impose d’abord un temps en plénière, pour redéfinir le projet à finaliser. Puis les élèves se mettent en binômes, occupant alors différentes fonctions.
Lorsque le projet a sensiblement évolué, les élèves médiatisent le travail de leur équipe sur une plateforme. Ainsi, à tout moment l’enseignant peut consulter l’avancée des réflexions de chaque équipe. Cette médiatisation progressivement élaborée constituera le support de la présentation finale du projet au reste de la classe, tout en étant support d’évaluation.
L’enseignant accompagne ses élèves dans leurs projets : il impose un cadre de travail, organise des situations didactiques, mais ne se regarde pas comme un transmetteur de savoirs. L’essentiel est d’inscrire prioritairement les élèves édans un travail collaboratif-coopératifé, comme le souligne Patrick Richard.
De fait, par une organisation en équipes pluricatégorielles, la séance de technologie favorise une prise de conscience des atouts d’une réflexion collective dans laquelle les compétences individuelles enrichissent le projet commun.
Patrick Richard souhaitait réinterroger l’organisation de ses séances afin de développer l’autonomie des élèves et favoriser une démarche inductive, c’est-à-dire laisser les élèves questionner des faits et parvenir eux-mêmes à des conclusions. Or, parce qu’il est utilisateur régulier des réseaux sociaux, l’adolescent d’aujourd’hui éprouve le besoin de choisir, de gérer, et ce dans un environnement de pairs et non dans une relation verticale professeur-élève. Puisqu’il peut mettre efficacement au travail les adolescents, le travail en groupe constitue une modalité pédagogique qui peut favoriser l’adhésion active de ces jeunes et engage davantage chacun dans une réflexion collective. Ainsi voit-on l’impatience des élèves de Patrick Richard lors de la phase magistrale inaugurale de chaque séance, pressés de se retrouver en petits comités pour faire avancer leurs projets.
Provoquer la prise de conscience individuelle de la nécessité d’une collaboration de tous pour mener à terme un projet constitue un objectif pédagogique ambitieux face à des adolescents. En cas de défaillance, c’est le groupe qui s’en trouve pénalisé. Les élèves se rendent collectivement compte qu’un investissement actif de tous s’impose.
Le "Guide pédagogique et didactique d’accompagnement du nouveau programme de technologie" de mars 2016 indique clairement qu’il faut prendre en compte les spécificités du public que sont les adolescents d’aujourd’hui : "l’impatience (besoin de réactivité rapide dans les rapports humains ou les interfaces hommes-machines ; le multitâche (habitude d’utiliser plusieurs médias à la fois) ; la communauté virtuelle (chat, réseaux sociaux, jeux en ligne, etc.) ; le flux continu (besoin de rester connecté ou proche d’un accès) ; la nécessité d’être acteurs de leurs apprentissages, une méfiance à l’égard de l’autorité et de l’information descendante." (p.11)
Les adolescents traversent une période de leur existence qui les perturbe : entre l’enfant qu’ils souhaitent rester et l’adulte qu’ils sont impatients de devenir, ils se détachent des adultes qui les entourent. Les savoirs ne constituent plus leur première préoccupation, car trop attirés et absorbés par des contingences sociales entre pairs. On peut reprendre ici les conclusions d’Henri Wallon concernant les stades du développement et plus particulièrement le développement de l’adolescent qui fait apparaître la prédominance de préoccupations affectives au détriment de l’intelligence. L’adolescent traverse une période de contradictions : aspirer au statut inconnu d’adulte et vouloir quitter l’enfance rassurante au risque de la regretter ; réclamer son indépendance vis-à-vis de la protection parentale, vécue comme étouffante et craindre de perdre cette protection. Françoise Dolto a résumé cette période de mouvance en parlant de "complexe du homard". Sans chercher à généraliser, les similitudes des adolescents sont aisément repérables : de la séduction (Eros), à l’insolence, voire à la prise de risque inconsidérée (Thanatos) ; de la volonté de se différencier (par un « look » singulier) au conformisme vis-à-vis du groupe identitaire des adolescents (en s’habillant comme ses pairs) ; rêves d’un idéalisme rimbaldien et réalité d’un corps que l’on exècre au point de le mutiler…
En conséquence, dans le cadre scolaire, la complexité de l’enseignement se trouve dans la gestion de ces jeunes qui s’éloignent des savoirs, s’accrochent à leurs pairs, et se méfient des adultes que certains osent défier.
Difficile aujourd’hui de faire cours face à des jeunes qui manifestent parfois peu d’intérêts aux contenus enseignés, sauf à proposer une pédagogie différente. On sait qu’un élève qui apprécie un enseignant réussira certainement dans sa discipline. Il convient donc dans son enseignement de prendre en compte : la prédominance affective de ces jeunes, leur mal-être, leurs certitudes, leurs médias. Découlent les réponses suivantes : mise en place d’une pédagogie collaborative, bienveillance de l’adulte, mise en projet, recherche de solutions non encore établies, recours à leurs modes de communication. On comprend mieux alors pourquoi de nouvelles organisations (îlots et travaux de groupes) s’avèrent efficaces : les élèves adhèrent au projet qu’ils se sont choisi et non à celui qu’impose l’adulte.
Il ne faut pas penser que les adolescents refusent les apprentissages scolaires : ils attendent une organisation qui leur permettra d’être entre eux ; d’où un "aménagement des salles en îlots" (op. cité. p11) regroupant quelques élèves constituant une équipe, avec son organisation, des responsabilités partagées et des objectifs fixés par le projet défini par l’enseignant. Lorsqu’elle prend ainsi en compte les problématiques des adolescents, la technologie donne un autre sens aux savoirs et à la validation de compétences ; elle place les élèves dans une dynamique motivante où l’émulation et le projet jouent un rôle régulateur que n’a plus à remplir seul l’enseignant.
Une séance-type est structurée en trois temps : deux temps de plénière ouvrant et clôturant la séance, et une longue phase de travail collectif. Dans un premier temps, les élèves sont installés à deux grandes tables ovales d’un maximum de seize élèves chacune ; cette disposition est aussi celle qui sera reprise en fin de séance. Patrick Richard impose cette configuration pour les passations de consignes, pour la régulation, pour les temps d’institutionnalisation et pour les bilans de fin de séance. Le reste de la séance obéit à une autre logique : les élèves se regroupent en équipes (de six ou sept élèves) autour de leurs projets dans un autre espace (petite salle, ou autre salle de cours). Les groupes sont autonomes : l’enseignant se déplace alors d’un groupe à l’autre pour écouter, conseiller, aider, interroger, et surtout provoquer le doute.
Après avoir testé différentes dispositions des élèves dans l’espace-classe, Patrick Richard a, depuis 2008, agencé cet espace en deux grandes tables. Il a ainsi "re-designé" sa salle de classe en deux grands îlots de seize élèves, ce qui a induit quelques modifications pour accueillir dans de bonnes conditions pédagogiques un maximum de trente-deux élèves : éclairages adaptés, tabourets à roulettes et tables spacieuses. Ce choix reprend le principe de l’open-space avec pour objectif premier de favoriser les échanges. Si ces places sont occupées pour les phases frontales de début et fin de séances, c’est surtout lors des présentations des projets que cette organisation montre ses avantages, car les élèves sont alors mieux placés pour voir et intervenir.
Suivons, le temps d’une séance de technologie d’environ une heure trente, une classe de troisième.
Dès huit heures, les élèves sont en plénière durant dix minutes pour écouter un rappel magistral des consignes : nécessité d’interviewer le pilote, après avoir défini une ambiance pour cet enregistrement, nécessité de médiatiser les résultats, …, Patrick Richard rappelle également le temps restant avant la fin de la séquence. Les élèves ont eu connaissance précise du programme à respecter : les attendus de cette séquence sont projetés au tableau.
Ensuite les élèves se répartissent en groupes dans les différents espaces mis à leur disposition. Quatre salles sont utilisées ; c’est beaucoup mais indispensable car chaque équipe a besoin de s’isoler pour échanger, enregistrer, pouvoir étaler son matériel…
Durant un peu plus d’une heure les élèves vont rester focalisés sur leur projet, de façon parfois animée du fait de désaccords.
A neuf heures quinze, les élèves prennent cinq minutes pour tout ranger ; cette exigence fait partie du contrat. Ils remettent à leur place tout le matériel : cutter, règles... et ils éteignent les ordinateurs qu’ils ont utilisés. En quelques instants, les espaces requis pour cette séance ont retrouvé leur état initial.
Un peu avant neuf heures trente, les élèves ont repris la place qu’ils occupaient à l’ouverture de la séance. Une nouvelle plénière est proposée par l’enseignant pour que soit effectué un bilan du travail réalisé, et pour que soit identifié le travail à finaliser (les pilotes prennent des notes sur un petit "cahier de brouillon" - voir sur ce point notre feuillet "Écrire en technologie"). L’enseignant prend un bref temps en toute fin de cours pour exprimer son degré de satisfaction et leur transmettre un retour positif : "Je commence à avoir des maquettes virtuelles intéressantes. " Ce moment magistral lui permet aussi de revenir sur ses attentes : "Je demande à avoir l'empreinte du collège bien délimitée." Ainsi, en deux remarques, il envoie un double message, associant bienveillance et contraintes pour poursuivre. Les élèves sont toujours placés dans une dynamique de projection, ce qui facilite l’identification des finalités à atteindre.
Dans toute cette organisation, qui place l’enseignant dans une posture de chef d’entreprise encadrant ses équipes de concepteurs, les objectifs à atteindre sont régulièrement rappelés, et les responsabilités explicitées.
Au-delà des apparences, le travail en amont est conséquent. Patrick Richard n’avance pas dans un brouillard épais, mais suit des objectifs clairement identifiés. Il sait où il mène ses élèves, maîtrise les médias ressources, et ne perd pas de vue les apprentissages cognitifs, même s’il reconnaît que des moments de complicité, voire des chamailleries, peuvent momentanément détourner les élèves des objectifs à atteindre.
Si la classe fonctionne en pleine autonomie, c’est l’aboutissement d’une énorme réflexion pédagogique en amont. La confiance réciproque règne dans cet espace, si bien que l’enseignant n’a pas à intervenir pour recadrer sur le plan pédagogique un groupe qui adopterait une attitude inacceptable. "Ça arrive, qu’ils se dispersent un peu. Mais ils se remettent vite au travail, sinon ils prennent du retard !" reconnaît Patrick Richard. Leurs digressions reposent parfois aussi sur leurs doutes. Et il arrive même que ce doute naisse des remarques de l’enseignant, qui joue le trouble-fête en perturbant leurs certitudes, en refusant de valider les choix opérés, en questionnant les résultats obtenus.
Convaincu du bien-fondé du projet, l’enseignant réussit à impliquer activement ses équipes et à obtenir que ce projet devienne celui de ses élèves. Ainsi dépossédé de son projet par les élèves qui se sont approprié cet objet de savoirs, il provoque une opération pédagogique qui rejoint le concept de « dévolution », défini par Guy Brousseau 1.
Tout au long de la séance, Patrick Richard garde aussi un œil sur son smartphone, car il lui permet de connaître à tout moment l’avancée de la réflexion de chaque équipe et d’intervenir dès que nécessaire auprès d’un groupe en demande.
Toute séance répond à l’urgence des projets engagés : ceux des élèves et celui de l’enseignant ; d’où le rythme soutenu des cours. Chacun sait ce qu’il vient faire en technologie. Chaque séance est donc un temps de réflexion et de production qu’il faut optimiser.
Les contenus évoluant constamment, il paraît naturel que les supports évoluent également et qu’ils soient régulièrement utilisés tant il est essentiel d’écrire en technologie. Ainsi le classeur habituel, bien qu’existant encore, est-il progressivement concurrencé par un classeur numérique qui devient le principal support sur lequel seront répertoriées les réflexions de chaque équipe. Ces informations sont médiatisables, c’est-à-dire susceptibles d’être communiquées au reste de la classe. Lorsqu’elles sont médiatisées, elles entrent dans l’évaluation finale. Le nec plus ultra pour les élèves, c’est d’obtenir que la classe considère leur présentation du projet comme la meilleure, ce qui permet alors à leur projet d’alimenter la classe-presse du collège. Ce classeur numérisé présente une plus-value, tant sur le plan formel car pratique à organiser, que sur le plan didactique par les apprentissages qu’il permet. Il est associé à un petit cahier bleu, reliquat d’un temps révolu qui trouve toute sa place dans une logique de mémoire authentique de sa propre réflexion, sur les trois années du cycle quatre.
Patrick Richard sait que, du fait cette orientation pédagogique, on pourrait lui reprocher de faire preuve de démagogie en surfant sur la vague du numérique qui plaît aux adolescents, ou de laisser croire qu’en dehors du numérique on ne réussirait pas à motiver les élèves d’aujourd’hui. Le challenge de l’enseignant est loin de ces critiques car l’objectif recherché est de mener les élèves à des compétences, disciplinaires et sociales. Il y parvient, dans un cadre qui témoigne que le nombre d’élèves dans la classe peut être un atout et non un obstacle.
Patrick Richard propose à ses élèves deux principaux supports : un petit cahier d’une centaine de pages et un classeur numérique.
Le support de travail habituel que les élèves utilisent de manière traditionnelle est le classeur. Or, parce que peu pratique selon lui, ou parce que souvent mal géré par les élèves, l’enseignant a souhaité partiellement dématérialiser ce support. "J’ai réintroduit ce qu’on appelle habituellement le cahier de brouillon et supprimé le classeur" ajoute-t-il en précisant que ce petit cahier s’accorde avec la linéarité du temps et permet de conserver des traces du travail. Il s’agit d’un modeste petit cahier bleu sur lequel les élèves prennent des notes, inscrivent leurs premières réflexions. Ce cahier, qui reste un support personnel d’écrits intermédiaires essentiels, doit être utilisé par les élèves ; c’est une contrainte. Cependant, l’enseignant a renommé ce cahier, lui préférant volontairement le nom provocateur de "tablette" pour retirer à ce support son nom péjoratif de "brouillon", dotant finalement d’un nom moderne cet objet presque suranné, mais résistant pour des motifs pédagogiques. Le collège offre à chaque élève ce cahier qui doit servir de trace durant les trois années du cycle quatre, dès la classe de cinquième. Incités à être économes dans l’usage de ce cahier sur lequel ils écrivent uniquement avec un crayon-papier selon l’exigence de leur enseignant, les élèves ne doivent pas, malgré la tentation, gommer leurs écrits. Il faut ainsi laisser authentique la trace, l’écrit personnel de l’élève.
À ce cahier est associé un "classeur numérique". Au contraire du cahier, le classeur numérique est un espace numérique d’échanges. Chaque élève le remplit pour y noter les avancées de son groupe. C’est la phase de "médiatisation" de chaque séance.
Chaque cours est en effet médiatisé. Le smartphone peut faciliter cette étape car, plurifonctionnel, il permet d’enregistrer, de visualiser, de chercher… Par ailleurs, les élèves peuvent recourir à plusieurs médias : le mode texte, certes, mais aussi d’autres modes : image, vidéo, son, "objet 3D". La dématérialisation du classeur de technologique donne la possibilité de modifier le rapport à l’écriture lors des séances de technologie. Objet média, le classeur numérique permet de construire une trace toujours disponible, qui est la mémoire du travail effectué. Il s’agit d’"enlever les outils de script classiques pour les substituer par des outils de script numériques" selon Patrick Richard. Les traces écrites de l’enseignant sont, elles, reportées sur l’Espace Numérique de Travail d’e-lyco ; l’objectif pour l’enseignant étant de limiter ses écrits lors de ses séances.
L’évaluation s’effectue collectivement, associant l’évaluation de l’enseignant et celle des élèves. Le produit final est présenté au vidéoprojecteur. Au cours des trente minutes de présentation allouées à chaque équipe, chaque élève de l’équipe doit prendre la parole. Tous ceux qui écoutent disposent d’un tableau contenant les critères d’évaluation. Ils doivent renseigner ce tableau.
Tous les avis recueillis sont ensuite synthétisés dans un nouveau tableau reprenant les moyennes, y compris l’évaluation de l’enseignant. La classe participe ensuite à un débat sur les résultats obtenus pour commenter, affiner et valider les notes. Le socle commun trouve tout naturellement sa place dans cette organisation réflexive.
Le classeur numérique entre également dans le projet classe-presse. Les élèves sont invités à entrer dans la peau d’un reporter en quête d’informations : "Vous êtes journalistes et vous devez réaliser un reportage". Par exemple, les élèves vont devoir enquêter sur les gaz à effet de serre.
En cours d’année scolaire, ils ont pu rencontrer un journaliste et échanger avec lui sur la construction d’un article de presse. Le journaliste a même relu et commenté certains des articles élaborés par les élèves, offrant ainsi la possibilité d’entendre les commentaires d’un professionnel tant sur le fond que sur la forme. Dans cet exercice les élèves prennent conscience qu’écrire peut paraître facile, mais que la réécriture est un acte difficile. Pour rendre plus concrète cette réflexion, il a été proposé aux mêmes élèves de découvrir Ouest-France à Rennes.
En groupe, les élèves construisent un article qui sera présenté à toute la classe. Si la rédaction d’un article pose problème, il leur est demandé de construire une brève. Ils doivent respecter une obligation d’écriture de quarante-cinq minutes, par mimétisme.
Lorsque tous les articles sont terminés, cinq minutes de lecture à voix haute sont consacrées à la découverte de chaque article. S’ensuivent cinq minutes d’échange.
Les élèves consacreront une séance de deux heures à discuter puis à voter afin de répondre à la question : "Tel article peut-il être retenu pour la classe-presse ?". Au final, seulement un article sera retenu, conforme aux contraintes initiales, puis publié sur le forum.
Ce vote entre dans les modalités d’évaluation et dans la validation des compétences du socle commun. Les groupes viennent présenter leur projet, avec micro qu'ils se passent, car chacun doit intervenir. Les élèves parviennent ainsi à s'évaluer et évaluer les autres.
Par ces activités, les élèves découvrent que l’acte de communiquer exige rigueur, précision, clarté et donc effort personnel. La reconnaissance des pairs est sans doute pour ces adolescents une réelle fierté.
Source :
L'ENT est "un dispositif global fournissant à un usager un point d'accès, à travers les réseaux, à l'ensemble des ressources et des services numériques en rapport avec son activité. Il est un point d'entrée pour accéder au système d'information de l'établissement ou de l'école" (document de cadrage réalisé par le ministère de l'Éducation). L'ENT est donc un service en ligne, accessible depuis n'importe quel navigateur connecté à internet, qui assemble des services numériques adaptés aux catégories d'utilisateurs : équipes éducatives, élèves, parents. Cet espace numérique de travail permet de s'informer, de produire des informations, de consulter des ressources, d'organiser son travail, de communiquer, de travailler seul ou en groupes, d'apprendre, d'accompagner la scolarité de ses enfants, etc.
Les questions soulevées par la mise en place de ce dispositif ne manquent pas, et ce à différents niveaux, puisque si tous les établissements font leurs premiers pas dans ce domaine, le déploiement d'e-lyco (nom de l'ENT dans l'académie) est prévu sur cinq années.
Les différentes fonctionnalités de l'outil ouvrent de nombreux champs d'application. L'ENT peut être utilisé pour la vie scolaire, pour la communication interne et externe de l'établissement, ou comme outil à usage professionnel interne (ressources numériques, réservation de matériel, stockage de données personnelles). C'est aussi un outil au service du travail en équipe entre professionnels (partage de données, projet commun, suivi individuel et tutorat, validation des compétences, aide en ligne, tutoriels, support de communication pour diffusion des travaux d'élèves, etc.). Chacun peut en tirer partie, y compris les élèves, car ce que l'ENT leur propose de nouveau, c'est une utilisation pédagogique des différents services en ligne (blog, forum, chat), encadrée par des adultes référents. À travers l'exploitation de ces outils de publication et de communication, les élèves pratiqueront un bon usage de l'internet et développeront des compétences numériques raisonnées et citoyennes.
Ces différents aspects ne doivent pas, cependant, faire oublier l'un des autres objectifs visés : favoriser le lien entre les différents groupes concernés par l'éducation ; professionnels, familles, élèves. Il est donc également intéressant de voir comment la volonté de limiter l'inégalité face à l'école suscite des actions particulières. Tout le monde n'a pas d'ordinateur, tout le monde n'est pas formé à l'utilisation des TICE. Quelle formation, quel accompagnement sont alors proposés par les établissements pour ne pas creuser les inégalités ? Comment l'ENT s'intègre-t-il, à l'interne, parmi les outils déjà existants ? Quels nouveaux usages et articulations des deux formes de communication, traditionnelle et numérique, peuvent être instaurés pour exploiter les atouts de chacune ? Comment les équipes s'emparent-elles des nouveaux modes de communication mis à leur disposition (aide en ligne, enseignement à distance, contact par courriel avec élèves et parents...) ? En quoi la relation pédagogique s'en trouve-t-elle améliorée ? Peut-on repérer d'éventuels effets contre-productifs ?
La technologie est un facteur central qui compte beaucoup dans la réussite de la mise en place de l'ENT, les postes informatiques, les logiciels, la gestion rigoureuse, la logistique... Mais les questions à caractère juridique (droits et précautions d'usage, notamment) apparaissent également avec la mise en place de chartes d'utilisation, par exemple. L'utilisation et le respect des données personnelles apportent donc leur lot d'interrogations : quel partage, quelle protection de ces informations, quels contrôles ?
Les premières conditions à mettre en œuvre pour réussir cette implantation sont vraisemblablement une réflexion à conduire sur le pilotage et l'organisation pédagogique de l'établissement, en parallèle à celle de la formation des personnels. Si chaque établissement concerné a désigné des coordonnateurs pédagogiques pour la mise en œuvre de l'ENT, comment s'effectuent les coordinations, les relais, selon quelles modalités, avec quels objectifs ? Quelle réflexion collective a eu lieu en amont de la mise en œuvre, et notamment concernant les "précautions d'emploi" ?
E-lyco se développera dans tout le second degré de l'académie entre 2010 et 2014 et le déploiement d'un ENT 1er degré est en préparation. Les échanges de pratiques entre les différents acteurs sont donc d'autant plus importants qu'ils pourront, par le transfert d'expériences, contribuer à la formation et donc à la réussite de ce projet ambitieux.
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